Transport commun (#5.b)

1.

C’est la dernière. C’est la dernière sonnerie. la fin. La fin de la journée. Éprouvante. Comme les autres. Son rythme cardiaque n’est pas encore retombé à son tempo de repos. 95. Elle le sent. C’est comme si elle avait couru. Il va lui falloir encore de longues minutes pour redescendre.

Ranger la salle pour la rendre accueillante pour le lendemain. Ranger ses affaires. Préparer la prochaine journée. Ça va l’aider.

Aligner les tables. Les chaises. Faire des petits tas de photocopies. Un pour chaque classe un pour chaque heure de cours. Puis les mettre dans des pochettes. Les aligner. Puis les mettre dans l’armoire. Elle visualise mieux. Elle appréhende moins. Elle se rassure. Elle essaie en tout cas.

2.

Puis elle repense à lui. À son visage fermé. À sa tête baissée. Ses grande enjambée. Il fuyait. Il fuit. Non. Il a déjà fui. Il veut vivre plus vite. Plus vite que ce que lui offre le lycée. C’est de l’ennui qu’elle a lu. De l’envie d’ailleurs.

3.

C’est la dernière. Tout est prêt pour demain. Elle sort de sa salle et la ferme à clef. C’est la dernière à partir. Le couloir est vide et toutes les portes sont déjà fermées.

Elle aime cela. Être seule dans les couloirs vides du lycée. Elle se sent plus forte. Elle lui appartient. Il lui appartient. Elle pourrait presque se sentir détendue. Il ne peut plus rien arriver ici pour aujourd’hui et ça la réconforte. C’est à ce moment que la boule qu’elle promène dans son ventre toute la journée disparaît. Elle savoure cet instant. Elle marche lentement. Dans le couloir. Puis dans l’escalier. Doucement. Elle respire enfin. Son rythme cardiaque est redescendu. 60.

4.

Elle arrive dans la salle des professeurs. Là encore personne. Elle est soulagée. encore. Elle n’aura pas à paraître. Le silence lui fait du bien.

Elle n’a plus peur.

Un dernier coup d’œil à son casier et c’est son dernier geste professionnel. Elle s’assoit un instant sur un fauteuil près de la table basse de la salle. Le coin détente. Juste un instant pour en profiter encore un peu avant de rentrer s’occuper des enfants.

5.

Elle repense à lui. Elle ne peut pas s’en empêcher. Elle l’admire. Lui qui affronte le monde des adultes. le monde de ceux qui veulent lui prouver que son avenir est écrit. qu’il doit se plier au règles. Aux règles du pays. Il doit savoir lui ce qui arrive quand on force trop les gens à se plier aux règles. Il l’a vu. chez lui.

Elle ne peut s’empêcher de penser à l’incapacité de l’institution face aux jeunes gens différents. Elle voudrait lui proposer quelque chose. Elle hésite cependant. Elle a peur. Peur de sortir de son rôle de professeur. Du rôle qui lui a été assigné. Même en dehors du lycée elle ne peut pas.

6.

Elle ramasse ses affaires pour partir. C’est l’heure maintenant. elle descend à nouveau des escaliers pour se diriger vers la sortie du lycée en espérant toujours ne croiser personne. personne.

Juste après la porte elle bifurque à droite vers le local à vélo. Le lycée lui sort un peu de la tête.

Elle pose son sac par terre défait le cadenas et la chaîne les pose dans le paner à l’avant du vélo accroche son sac sur le porte-bagage et peut enfin enfourcher son vélo.

Moment de liberté où tout est possible. Moins que le matin tout de même. Elle lance le vélo dans la descente et écoute le vent dans ses oreilles. le calme.